Le calme avant la tempête

Vendredi dernier, j’ai reçu la copie de la lettre que mon avocat a adressé au procureur de la république.

Dans cette lettre, il explique que je souhaite porter plainte à l’encontre de mon père, pour des chefs d’agression et atteinte sexuelle sur mineur de moins de quinze ans, et cite plusieurs articles du code pénal. Ensuite, il me cite moi : Le résumé des comportements de mon père, implicites comme explicites, que je lui ai transmis le mercredi précédent. Il a mis quelques passages en gras, pour insister sur leur importance… Et pas seulement ceux qui parlent d’agression pure – ce qui est un petit soulagement.

L’avocat précise ensuite que je ne souhaite plus porter le nom de mon père, que ces faits m’ont particulièrement marqué, et que j’ai eu- pour preuve – des périodes d’automutilation, que je souhaite porter plainte pour les chefs d’accusation visés mais également tout autre qui puisse survenir au cours de l’enquête.

Et voilà. Plus de retour en arrière, plus de renoncement ou d’hésitations : La plainte est déposée.

A partir de maintenant, je vais me confronter à la longue et douloureuse aventure judiciaire.

Grosso modo :

Dans 1 à deux mois, je serai convoquée à la brigade des mœurs pour une audition ( là, pas le droit aux détours : je devrai employer les mots, tous ces mots que j’ai peine à penser sans écœurement. Je devrai les dire. ..je ferai un article, dans quelques temps, sur mon incapacité à utiliser les mots propres au champ lexical de la sexualité. Gros blocage. Et oui « sexualité » ça passe, mais le reste…) Une fois entendue, mon père sera convoqué à son tour (détail qui a un pouvoir de réconfort infini : mon père ne saura pour quelle raison il est convoqué que lors de son audition.)

Ensuite démarre l’enquête : audition de la famille, des proches, anciens amis, anciens profs, expertise psychiatrique et expertise psychologique…

Premier procès pas avant 18 mois.

Je me réjouis presque d’avoir porté plainte, pour l’instant. Il y a comme un poids qui m’a quittée lorsque j’ai reçu la copie de la lettre au procureur. Mais un autre poids l’a remplacé, plein de doutes, d’anticipations, d’anxiété mal appréhendée.

Tout est calme pour l’instant, et j’ai la chance d’avoir une famille qui me soutient – parfois à sa manière – mais qui est là, présente, chaleureuse, concernée… Culpabilisée et blessée aussi, mais elle ne m’a jamais fait sentir que j’en étais la cause. Je n’ai jamais été aussi impatiente de voir arriver noël.. J’ai pleins de petits cadeaux pour eux – petit budget certes, mais qui leur correspondent parfaitement à tous. J’ai envie d’être entourée d’eux, de penser « merci » à chaque fois que je croise leur regard.

Voilà, le retour des larmes… Je suis reconnaissante envers eux à tel point que je m’en trouve intensément émue. Je porte toujours ce sentiment de solitude, mais je sais qu’il sont . Parfois, ils parviennent à vaincre leur pudeur et à me le dire. « On est là » « N’hésite pas appeler.. Dés que tu en as besoin » « tu es forte » « tu n’es pas toute seule »…. ça réchauffe littéralement le cœur, et l’esprit aussi.

Et je me dis que tout va bien pour l’instant, que j’ai porté plainte et que j’ai fait ce qu’il fallait, que ma famille est derrière moi…et que dans un mois environ, tout va basculer : tout sera stressant, long, fatiguant, angoissant, humiliant. Et je devrai tenir bon. Et je serai seule à affronter tout ça – ils pourront « seulement » me soutenir, de loin.

Heureusement, je ne comprends pas encore tout à fait les conséquences de mon dépôt de plainte. J’en ai conscience – j’ai suffisamment demandé à l’avocat de m’expliquer et me réexpliquer pour ça, mais je ne comprends pas « à quel point » l’année à venir sera éprouvante.

J’ai beau essayer, impossible de l’imaginer.

Et puis depuis que j’ai sauté le pas, depuis que la plainte est déposée, j’ai envie de sourire. D’apprécier, un peu, juste un peu.

Je vais m’accorder ça, pour les fêtes : un peu de légèreté.

19 réflexions sur “Le calme avant la tempête

  1. lesouffleurdemots 22 décembre 2014 / 18 h 52 min

    Oui, accorde toi des temps de pause, de réconfort, d’un break avant d’affronter la tempête! Pleins de courage à toi et que ces temps de fête soient pour toi un temps de ressourcement!

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  2. Carole psycho praticienne 22 décembre 2014 / 18 h 52 min

    C’est un long processus qui se met en place… Il y aura des hauts et des bas. Ce processus est important pour votre reconstruction. Ne baissez pas les bras, les épreuves seront rudes, vous sembleront parfois insurmontables et vous aurez certainement parfois envie de renoncer. Ne le faites pas, il en va de votre avenir de femme.
    Courage

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    • freyjanova 23 décembre 2014 / 23 h 17 min

      J’espère ne pas être tentée par l’abandon. Je pourrais jurer maintenant que je ne baisserai jamais les bras – mais je ne sais pas de quoi sont faites les prochaines épreuves.
      Je sais cependant qu’étrangement, on peut parfois avoir une résistance morale et psychologique à toute épreuve – heureusement ou malheureusement.

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      • eclatdetendresse 25 janvier 2015 / 18 h 58 min

        Je trouve ça très bien que vous aillez eu le courage de faire ce pas en avant, c’est très dur. Il y aura des bas bien sûr, mais quand sera terminé et qu’il aura été enfermé, peut-être que votre vie aura un nouveau goût !

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  3. Les Editions de l'Embelllie 30 décembre 2014 / 12 h 44 min

    « Je sais cependant qu’étrangement, on peut parfois avoir une résistance morale et psychologique à toute épreuve – heureusement ou malheureusement. »

    Une phrase terrible et malheureusement si vraie ! Je viens de parcourir un peu votre blog que je vais suivre, j’y reviendrai… Il me reste quelques pages du livre que m’a dédicacée la journaliste Florence Aubenas concernant l’affaire Outreau « la méprise »… Trois cents pages que je lis à petites doses tant le livre reportage détaillé du sordide et de l’innommable sont dénoncés ! Du courage et de la pugnacité il vous en faudra même si je pense que c’est bien souvent le premier pas qui coûte, qui compte aussi et à vous lire visiblement se mêlent un poids en moins et des doutes et des questions à venir, ce qui est normal et franchement pas facile à vivre, j’imagine ! Je viens de corriger un livre sur un j’accuse version Zola, mais en Suisse pour atteinte aux droits des enfants tout comme Florence Aubenas soulignait lors de sa conférence en ma ville d’Angers avoir écrit un j’accuse dans l’affaire d’Outreau ! J’ai beaucoup de mal à lire ces lignes et pourtant il est de notre devoir d’avoir les yeux ouverts, les oreilles attentives et les mots pour le dire quand tant de personnes sont humiliées, bafouées, tant d’enfants abusés ! Je défends la femme et l’enfant ici ou ailleurs, proies fragiles et ô combien souvent sous l’emprise du mal ( pas de fautes ou jeu de mots, car je n’ose identifier ces personnages…) dans mes poésies et réflexions depuis plus de cinq ans et dernièrement le livre « Je t’accuse ma Suisse » de Philippe Frioud, où l’on imagine nettement moins dans ce pays des silences que des enfants pendants des années furent ôtés de leur famille et subirent les atrocités, les abus sexuels et autres humiliations.

    Je vais de suite cliquer sur suivre. Je vous souhaite beaucoup de courage et si parfois vous flanchez, écrivez ! Pas forcément en le publiant, mais déjà le simple fait d’écrire fait sortir le mal, le dissocie un peu quelque part de vous et vous permet de prendre du recul ! Personnellement, et je n’en parle que très très rarement ma maman fût abusée vers l’âge de 9 ans, une époque où l’on envoyait ensuite les enfants ou jeunes filles dans les institutions religieuses comme « Le bon pasteur » où elle resta 8 ans ! Pour sa part, un déni complet que fait ma mère et qui l’a rend dépressive et toute cette cohorte de maux qui l’entourent ! Il est vrai qu’apprendre via le jugement du tribunal elle à 70 ans et moi 45 qu’il n’était pas exclus qu’aux moments des faits (ma mère de neuf ans alors) n’était pas consentante à de quoi vous démolir ou bien vous faire hurler ou accuser ce que je fais et encore j’y vais de plus en plus tant il y a d’horreurs cachées, dissimulées ou volontairement zappées de part les médias voire autres instances dites d’aide ou d’entraide… Il reste la plume, l’écrit, le dire et le redire car même si cela ne change pas la face du monde, certes, mais au moins de se dire j’ai parlé pour ceux qui ne peuvent pas, j’ai dénoncé quand tout le monde vous dit : tais-toi ! »
    Quant à moi de violences psychologiques j’ai eu mon lot et j’oserai dire que c’est si courant, mais tellement ,oui tellement difficile à prouver et pourtant ce sont des bleus à l’âme, moins visibles c’est vrai, mais qui font mal également !

    A bientôt, tendresse,

    Marie de Cœur

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    • freyjanova 30 décembre 2014 / 13 h 11 min

      Un grand merci pour ce que partagez ici. « Le simple fait d’écrire fait sortir le mal, le dissocie un peu quelque part de vous » : C’est très proche du sentiment que j’éprouve lorsque j’écris. Je rechigne même, souvent, à écrire un article. Evidemment : avant de sortir le mal, il faut aller le chercher en soi – et ça n’a rien d’agréable. C’est davantage le fait de, comme vous dites, parler pour ceux qui ne peuvent pas qui s révèle le plus motivant.

      Soulever les silences, c’est le plus important!

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  4. Sanguine Chronology 13 janvier 2015 / 6 h 15 min

    Je trouve ton cheminement ainsi que ton courage plus que remarquable. Ton initiative devrait, selon moi, inspirer beaucoup de gens qui ont été des victimes également.

    Courage, c’est un grand geste que tu poses, c’est indéfiniment admirable vue les intensités émotionnelles et le remue-ménage que les souvenirs apportent.

    Tu as humblement mon plus grand respect et mes encouragements dans ta démarche, puisses-tu sincèrement inspirer beaucoup d’autres qui songent à sortir de l’ombre de ces tristes actes trop souvent ignorés.

    ♥ ∼ Sanguine Chronology ∼ ✍

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    • freyjanova 13 janvier 2015 / 12 h 19 min

      J’ai lu ton message il y a quelques heures..Et lire ce genre de choses de bon matin, je t’assure, il y a de quoi ensoleiller une journée. Très émue par tes mots – pour dire : j’y ai pensé toute la matinée.
      Merci beaucoup pour ce beau message. J’espère également de tout cœur que ce blog puisse être utile à d’autres.

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  5. Mona de B. 15 janvier 2015 / 8 h 44 min

    Wow… je suis contente pour toi que tu aies le soutien de ta famille. Tu as enclenché le processus désormais, bravo!

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  6. Mona de B. 15 janvier 2015 / 8 h 48 min

    Tu as totalement le droit d’être faible et pas courageuse, tu es une victime, et être forte au vu de la société signifie souvent faire semblant d’être forte. Continue de te faire soutenir par ta famille, avocat… ils sont là pour ça 🙂

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  7. PhyZoElle 20 février 2015 / 14 h 09 min

    Je crois que je comprends (un peu) ce que tu traverses puisque j’ai moi même porté plainte contre mon agresseur il y cinq mois à peu près.

    Alors je voudrais te dire plusieurs choses.

    Premièrement, courage. Tu en auras besoin je crois.

    Deuxièmement merci pour tes écrits qui mettent des mots sur ce que je ressens et qui doivent énormément t’aider.

    Troisièmement merci d’être passée sur mon blog, ça m’a donné envie d’aller voir le tien.

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    • Freyja 20 février 2015 / 14 h 25 min

      Contente d’apprendre que tu as trouvé le courage de porter plainte. Où en est la procédure aujourd’hui?

      Merci infiniment pour tes mots. La parole, l’écriture, le partage, la solidarité entre victimes, sont autant de choses qui nous permettent de trouver la force de d’avancer.

      (et je te remercie de commenter sur mon blog : impossible de retrouver le tiens, que j’avais quitté par erreur, et que je voulais parcourir d’avantage. chance!)

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      • PhyZoElle 20 février 2015 / 14 h 46 min

        Je ne sais pas trop. L’enquête est toujours en cours, et donc on ne me donne pas trop de nouvelles, ils restent un peu discrets sur le déroulement pendant cette phase.

        J’espère que ça va avancer… Et pour toi aussi.

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        • Freyja 20 février 2015 / 14 h 59 min

          Je vois. Je ne peux que te souhaiter tout le courage et la patience possible. N’hésite pas me donner des nouvelles si tu t’en sens l’envie – la solidarité est un solide bouclier face à ces situations.

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          • PhyZoElle 20 février 2015 / 15 h 04 min

            C’est adorable, merci.

            N’hésite pas non plus si tu te sens de discuter.

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          • Freyja 20 février 2015 / 15 h 07 min

            Je n’hésiterai pas 🙂

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  8. PhyZoElle 20 février 2015 / 14 h 11 min

    (je sais bien que ton article est un peu ancien, toutefois je sais comme les procédures peuvent être longues.)

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    • Freyja 20 février 2015 / 14 h 28 min

      tout à fait. Mon avocat m’a confirmé il y a deux semaines seulement que la plainte était enregistrée en enquête. Toujours pas de convocation à la brigade des mœurs de ma ville pour l’audition.
      Je suis partagée entre l’anxiété d’arriver au coeur de cette procédure et l’impatience, les « allez, qu’on en finisse ! » .. J’arrive étrangement à rester zen, pour le moment.

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  9. lessismorebyraphaell 26 avril 2016 / 21 h 48 min

    waouh, je decouvre tn blog un peu par hasard, je découvre ce billet et je suis juste stupéfaite, mais plus encore admirative, admirative du masque que tu oses faire tomber, du courage dont tu fais preuve et de ta force, ce phénomène est récurrent, plusieurs personnes en sont victimes et se taisent, par peur, par honte et pour d’autres raisons, et préfèrent oublier, se dire que ça n ‘a jamais existé, on ne peut pas enterrer ce genre d’épreuves, c’est juste impossible, ça vous ronge, détruis et fini par avoir raison de vous, bref je m’éternise là, mais une fois de plus chapeau.

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